Voici un texte très intéressant, il est extrait de Reims et la Marne Almanach de la Guerre 1914-1915, édité par Jules MATOT en 1916 :

" Les 1er, 2 et 3 septembre, Bétheny loge des troupes françaises battant en retraite : croix rouge, chasseurs à pied, artillerie. Ces troupes s'en vont au delà de Reims rendue ville ouverte et dont les forts sont désarmés.
On entend la voix de plus en plus proche du canon, c'est l'invasion.
6 septembre - Les premiers " Boches " se montrent à Bétheny à trois heures et demie du soir, dans une auto, au nombre de 4. Pour indiquer leur prise de possession des hangars Farman et Deperdussin, ils menacent de " visiller " celui qui ne s'arrêtera pas au " werda " de la sentinelle.
9 septembre - Un détachement allemand s'installe à Bétheny à onze heures du soir. Il est composé de Bavarois qui ne feront parler d'eux qu'au moment de leur retraite le vendredi 11.
10 septembre - Un officier allemand enlève en auto M. Marcelet Albert, conseiller municipal, et le conduit à Reims, à la " kommandantur ". Il le ramène à trois heures et demie.
12 septembre - Les symptômes de la retraite allemande, consécutive à la bataille de la Marne, s'observent dans toute leur ampleur. Dans l'après-midi, les Français accrochent les arrière-gardes " Boches " et c'est la bataille de Reims. Au soir repassent les derniers convois et soldats ennemis aux sinistres lueurs d'incendie du magasin de fourrages, de l'aviation militaire et des hangars Farman.
13 septembre - C'est en ce dimanche que commence la grande semaine de destruction et d'anéantissement de Bétheny. Des patrouilles de chasseurs à cheval et de fantassins sont ici dès le matin. Des " taubes " survolent le village. A dix heures, les premiers 77 tombent sur le Petit-Bétheny, et encadrent bientôt Bétheny. Le village qui est copieusement arrosé jusqu'à trois heures de l'après-midi. Un chasseur à cheval tue un uhlan près du cimetière ; une reconnaissance ennemie est poursuivie par nos fantassins à quatre heures et demie.
Ces faits nous amènent encore quelques bombes de cinq à six heures du soir. 25 maisons au moins ont été touchées ; on ne signale aucune victime.
14 septembre - Le 33ème occupe le village.
Le bombardement recommence. Vers six heures du soir, la mairie a les honneurs des premiers obus incendiaires avec les granges Rothier, Beaufort, Léon Navelot André Lhotelain. De courageux citoyens, conduits par M. Picart, lieutenant des pompiers, placent les archives en lieu sûr.
15 septembre - Ce sont les forts de Berru qui nous visent et provoquent les incendies Garnotel, Rothier Henri, Julien Maltot, Alfred Logeart, Villé, Navelot Armand.
16 septembre - La partie nord et nord-est du village est barricadée.Les troupes françaises sont dissimulées le long de la ligne des Ardennes et du C.B.R. Elles chargent trois fois à la baïonnette pour refouler l'ennemi et l'incendie détruit les locaux Rousselet Xavier, Savin Emile, Pointillart Marcel, Boucton Léopold, Legrand, Bouardelle, Maltot, Vve Marion, Paul Logeart. Depuis trois jours, la population terrifiée s'enfuit vers Reims, après avoir lâché à travers champs chevaux, vaches et moutons, dont les cadavres vont couvrir bientôt la plaine avec ceux des combattants ! Comble de misère : elle rencontre de la résistance de la part des postes militaires quand elle se présente aux portes de la ville.
Le père Antoine, brave ouvrier agricole d'origine italienne, n'a pas voulu descendre à la cave. Il est tué, chez M. Maltot père, par la même bombe qui anéantit les écuries et les étables.
17, 18, 19 septembre - Une vingtaine de maisons en flammes rue de Reims et Grande rue, d'autres croulent sous les obus ; l'incendie des dernières meules qui entourent Bétheny s'achève. C'est terrifiant ! L'ennemi est là, tout près ; fusils et mitrailleuses tirent sans répit : les Français évacuent le village et se replient sur Reims.
20, 21 septembre - Les " Boches " sont revenus !
Ils sont les maîtres ici pendant deux jours. La population cachée dans les caves n'a pas trop à souffrir de leur présence, ni des luttes qui se livrent dans les rues. En battant en retraite, ils emmènent 4 habitants de la rue de Courcy : M. Navelot Léon, conseiller municipal, Quentin Charles, Rothier Léopold, Marcelet Ernest et un de la rue Neuve. M. Lenvoisé. On n'a jamais eu aucune nouvelle officielle des cinq otages. On dit que MM Navelot et Quentin sont à Rethel occupé, dans une boucherie militaire allemande. C'est également le lundi 21 que disparaît M. Lothelain, vieillard de quatre-vingt-trois ans, père de M. Lothelain Alexis, conseiller municipal, réfugié à Reims ; ce vieux brave a voulu aller " faire un tour " dans sa maison. On ne l'a jamais revu depuis…
Bétheny, repris par les Français, est resté sur la ligne de feu. Bombes incendiaires et obus ont presque journellement continué leurs ravages et augmenté les ruines ; les dates des grands bombardements de Reims sont aussi celles de Bétheny. Seule, la rue de Coucy a conservé quelques immeubles peu détériorés en comparaison des autres : 35 à 40 habitants, réduits aujourd'hui à une quinzaine, y ont vaillamment lutté contre l'infortune.
Tranchées, boyaux de communication, barricades, canons de 75, artillerie lourde, assurent la défense du village.
Les caves des maisons encore habitées sont réunies et forment des abris de toute sûreté. Un officier a même fait classe aux quelques enfants qui restaient. Le commandant militaire a constitué une commission communale dont ont fait partie MM Rousseau, Paul Savin, Elisé Marcelet. Le garde champêtre Bertaux a assuré pendant quelques temps les services postaux et administratifs. Mais devant la continuité d'un danger toujours trop réel, tout s'est désagrégé…


Dans cette vie d'une année entière de guerre sous le canon " boche ", quelques faits sont à signaler :
1) L'arrestation de M. Rousseau par l'autorité militaire. Se promenant le soir dans sa cour avec une lanterne , il fut accusé d'espionnage. Conduit à Reims, il n'eut pas de peine à se disculper.
2) 16 novembre 1914 - Place de la Bascule, Camille Paté, âgée de vingt ans, est frappée par un shrapnell au dessus du sein droit et meurt deux heures après avoir repris connaissance.
3) 22 février 1915 - L'épouse de M. Léon Navelot (otage dont on est sans nouvelles), née Savin (Louise) est mortellement frappée à cinq heures du matin dans sa chambre ; elle succombe le soir même à l'hôpital de Reims.
4) On signale aussi la mort de M. Gustin Charlemagne, ouvrier agricole chez M. Quentin Charles, et les blessures légères de Mlles Rothier Renée et Navelot Jeanne.
5) Dans une visite aux tranchées de première ligne, en août 1915, le Président de la République reçut les souhaits de bienvenue des habitants de Bétheny encore restés, par la voix de Mme Jean Schartz, qui présenta à M. Poincaré un bouquet de roses du jardin de M. Navelot Paul. Elle reçut en échange une superbe broche dont le prix est augmenté par les circonstances qui ont accompagné ce cadeau. "